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Dossier : Les organismes génétiquement modifiés

L’impact des OGM sur l’environnement et les relations socio-économiques dans les pays en développement

Nadine Bachand

Texte intégral

1La commercialisation des plantes transgéniques risque d’entraîner un flux de transgènes vers les populations sauvages apparentées dans les centres de diversité; ceux-ci possèdent une biodiversité qui constitue l’héritage biologique et culturel de l’humainité et assure la sécurité alimentaire mondiale à long terme. Le débat écologique portant sur les risques menaçant la diversité des cultures doit porter de façon spécifique sur les centres de diversité de chaque culture plutôt que d’envisager l’agriculture comme un phénomène homogène.

L’impact du flux génétique sur les écosystèmes et les variétés locales dans les centres de diversité

2Une fois libérées dans l’environnement, les plantes transgéniques ne peuvent plus être confinées. Le transfert de pollen constitue la voie principale pour la transmission des gènes dans l’environnement. Un aspect préoccupant de la question réside dans la possibilité que certaines variétés de plantes adventices acquièrent le transgène et deviennent elles-mêmes résistantes aux herbicides, aux insectes ou aux maladies, caractères pouvant leur conférer un avantage sélectif. Cependant, la transmission de gènes n’est possible qu’en présence de plantes compatibles au voisinage, ce qui est le cas dans les centres de diversité d’une plante. Un centre de diversité est une zone géographique «où se manifeste encore la relation si particulière qui unit nos plantes cultivées à leurs parentes sauvages» (van Aken, 1999). Il désigne aussi bien la région d’origine d’une culture que la région dans laquelle elle fut initialement cultivée et améliorée pour produire plusieurs variétés différentes. Ils constituent de précieux réservoirs de matériel génétique permettant la conservation des multiples moyens de lutte contre les agressions constantes des insectes, maladies et plantes compétitrices. Une part colossale de la diversité se retrouve dans les pays en développement. Dans ces centres de diversité , des dizaines de milliers de variétés de maïs, riz, pommes de terre et nombre d’autres cultures vivrières sont encore cultivées par les populations locales. Il est démontré que «le Colza, le Maïs, le Tournesol, la Pomme de terre, le Sorgho et de nombreuses autres cultures peuvent donner lieu à une fertilisation croisée avec des plantes sauvages qui poussent dans leurs centres de diversité» (van Aken, 1999) et que plusieurs ont de proches parentes compétitrices.

3Première culture vivrière au monde, le maïs est originaire du Mexique et fut ensuite domestiqué dans toute l’Amérique du Sud. L’impressionnante diversité du maïs est directement liée à la sécurité alimentaire car ses caractères de croissance très variés permettent de faire face à un large éventail de conditions climatiques et d’agents adverses. Aux Etats-Unis, principalement dans les états du sud, donc à proximité du centre de diversité du maïs, sont cultivés des millions d’hectares de maïs transgénique, le plus souvent munis d’un gène Bt. D’importantes quantités de ce maïs sont exportées vers le Mexique sous forme de denrées de base et on ne peut écarter la possibilité que du maïs transgénique soit déjà cultivé au Mexique car le maïs alimentaire importé pourrait être semé par des paysans pauvres et ainsi menacer l’intégrité de ce précieux réservoir de matériel génétique.

4L’Europe est le centre de diversité du Colza et de la Betterave. Plusieurs cas d’hybridation spontanée entre des variétés cultivées et des parentes sauvages ayant été observés lors d’expérimentations scientifiques, le gouvernement français décida, à l’été 1998, d’interdire toute culture commerciale de Colza et Betterave transgéniques pour une durée de deux ans.

Agriculture intensive et transgénisme : une porte ouverte sur l’érosion génétique

5L’Organisation des nations unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO) estime que depuis le début du vingtième siècle, nous avons perdu environ 75% de la diversité génétique des cultures agricoles (Wildfong, 1999). Utilisés en agriculture et disséminés dans l’environnement, les organismes génétiquement modifiés pourraient être le prolongement de cette érosion du bassin génétique. En effet, les multinationales agro-chimiques et agro-alimentaires concentrent actuellement leurs efforts de recherche à un éventail restreint de cultures de rente et à la «sélection des résistances reposant sur un gène unique» (Fowler et Mooney dans Rifkin 1998 : 156), accélérant ainsi le processus de perte de diversité biologique associé au modèle d’agriculture intensive et réduisant les possibilités de défense contre les agents adverses.

6Afin de saisir toute la vulnérabilité aux maladies qui peut découler de cette pratique, nous n’avons qu’à nous remémorer les épidémies sérieuses qui frappent les monocultures dont toutes les semences proviennent de la même souche. Le premier cas d’épidémie moderne survint en Irlande en 1845, lorsqu’une mystérieuse maladie attaqua les pommes de terre. Les pommes de terre introduites en Irlande étaient toutes issues d’une souche génétiquement vulnérable à cette maladie. La pomme de terre étant la nourriture de base des irlandais, plus d’un million d’entre eux périrent et un nombre égal émigrèrent en Amérique du Nord pour échapper à cette famine. Des chercheurs découvrirent de nouvelles souches résistantes dans les régions d’origine de cette plante, soit dans les Andes et au Mexique.

7Le transgénisme vient donc catalyser l’érosion du bassin génétique en intensifiant la pratique de la monoculture ; les agriculteurs risquent d’être contraints à renoncer à la culture des variétés traditionnelles au profit de cultures transgéniques, plus compétitives économiquement. De plus, les brevets déposés sur les variétés modifiées génétiquement limitent l’échange des semences parmi les cultivateurs, inhibant le développement de nouvelles variétés et réduisant ainsi la diversité génétique. Le système de propriété industrielle risque de nuire aux pays du tiers-monde en leur confisquant l’accès à leurs propres ressources. À titre d’exemple, une compagnie américaine, POD-NERS, L.L.C., poursuit actuellement en justice des exportateurs de fèves mexicains, arguant que les fèves mexicaines (Phaseolus vulgaris) que ces derniers vendent aux Etats-Unis constitue une transgression du brevet qu’ils possèdent sur une variété de fève de couleur jaune. Ressemblance incongrue ? La fève brevetée, achetée par le président de POD-NERS, L.L.C. à Mexico en 1994, tire son origine des semences très répandues «Azufrado» ou «Mayocoba». Ces fèves mexicaines ont été cultivées à Mexico depuis plusieurs centaines d’années, développées par nombre de générations successives de fermiers mexicains et, plus récemment, par les améliorateurs de plantes mexicains. L’année dernière, le Rural Advancement Foundation International (RAFI) publia un rapport faisant état de 147 cas suspectés de biopiraterie institutionnelle.

Les OGM représentent-ils une solution aux problèmes agricoles du tiers-monde et permettront-ils de nourrir la population croissante ?

L’autonomie alimentaire des peuples et l’agriculture paysanne mises en péril

8La question du développement d’une agriculture biotechnologique est cruciale car ses implications sont globales; elle va bien au delà de l’intérêt particulier de notre assiette et ne se limite pas à une controverse scientifique ou une querelle entre experts. Ce développement est-il le miroir d’un véritable choix de société ? Tel que souligné par M.David Hathaway, économiste, «un nouvel oligopole semencier mondial est en passe de prendre le contrôle du travail de sélection et d’amélioration des plantes, dans le secteur public comme dans le privé. Il n’y a rien de bon à en attendre sur le plan de la sécurité alimentaire». Les variétés transgéniques et les changements technologiques qu’elles laissent entrevoir ne peuvent d’aucune façon agir sur les causes de la faim. Les plantes transgéniques semées sur des millions d’hectares sont quasi-entièrement destinés à l’alimentation animale (soja et maïs) ou à des usages industriels (coton). Les pays en développement sont d’autant plus inquiets qu’à terme, des productions par génie génétique pourraient supplanter totalement les productions naturelles et fragiliser sérieusement les économies locales. Par exemple, la production de vanille en laboratoire à faible coût à partir de champignons génétiquement modifiés dans les pays du nord pourrait conduire l’économie de Madagascar dans un profond marasme. Également, dans les pays du tiers-monde, les «mauvaises herbes» ont une importance socio-économique locale; dans certaines communautés, 80% des mets proviennent de plantes non-cultivées.

9De par le monde, 1.4 milliard de personnes dépendent des semences que conservent les cultivateurs pour garantir leur sécurité alimentaire. Or, l’Afrique reçoit des pressions pour enlever le droit à plus de 20 millions de petits agriculteurs à conserver et échanger leurs semences. L’application des règles de la propriété intellectuelle permet à une firme qui introduit quelques gènes dans une variété de la breveter et ainsi de devenir propriétaire des ressources génétiques de la variété mère, qui est en grande partie le fruit du travail de générations d’agriculteurs-sélectionneurs des pays du tiers-monde. La concentration sans précédent des firmes agrochimiques en un puissant oligopole est très préoccupante : une douzaine de géants exercent un contrôle quasi exclusif sur le marché des semences et des produits chimiques, imposant aux agriculteurs leurs semences transgéniques et produits phytosanitaires correspondants. Cette mise sous tutelle des communautés paysannes compromet directement le droit des peuples à assurer leur autonomie alimentaire. Par la propriété industrielle sur le vivant, partagée par une poignée de multinationales, les cultivateurs sont privés d’une pratique ancestrale; celle de semer le grain récolté, nommée le « privilège de l’agriculteur » - explicitement reconnue par le droit international. Les technologies « Terminator » et «Traitor» sont de criants exemples du développement des OGM en tant qu’outil ultime d’un contrôle mondial des compagnies sur les communautés paysannes. Leur cible principale : les pays du tiers-monde. L’année dernière, suite à une retentissante mobilisation internationale, Monsanto et AstraZeneca ont annoncé publiquement qu’ils renonçaient à commercialiser ces nécrotechnologies développées avec des deniers publics par le ministère américain de l’agriculture (USDA) en collaboration avec la firme Delta & Pine Land Seed Co. Néanmoins, les géants de l’agro-biotechnologie détiennent plus de 30 brevets de type Terminator. En mars 2000, on apprenait que Delta & Pine Land Seed Co. est en voie de commercialiser ces semences qui ont la particularité d’être modifiées génétiquement et brevetées pour donner naissance à des plantes dont les graines seront incapables de germer. Pour leur part, les techonologies Traitor consistent à développer des plantes qui soient dépendantes des produits chimiques, non seulement économiquement mais biologiquement, c’est-à-dire qu’on doit leur appliquer un chimique manufacturé par la compagnie ayant breveté les semences afin que, par exemple, celles-ci puissent germer ou se défendre contre des maladies. Le génie génétique agricole, loin de soulager l’agriculture productiviste de sa forte consommation de fertilisants et de pesticides, est taillé sur mesure afin de renforcer la dépendance des agriculteurs envers ces intrants chimiques coûteux.

10La concentration record des firmes agrochimiques en un puissant oligopole – firmes qui ont, soit dit au passage, phagocyté nombre de semenciers tant publics que privés afin d’en acquérir les brevets - est très préoccupante: une douzaine de géants exercent un contrôle quasi exclusif sur le marché des semences et des produits chimiques, imposant ainsi petit à petit aux agriculteurs leurs ensembles de semences transgéniques et produits phytosanitaires correspondants. Cette mise sous tutelle des communautés paysannes compromet directement le droit des peuples à assurer leur autonomie alimentaire.

L’histoire se répète

11Il est crucial de s’interroger sur les réels enjeux qui sous-tendent le développement de l’agriculture biotechnologique : à quels problèmes les OGM sont-ils sensés apporter des solutions? À la perte de contrôle sur les mauvaises herbes, les ravageurs, les maladies ? N’est-ce pas là des problèmes inhérents au modèle de monoculture intensive ? Force est de constater que les agriculteurs adoptant les variétés transgéniques se voient imposer des restrictions en continuité directe avec la logique imposée lors de la Révolution verte : monoculture, dépendance accrue vis-à-vis des banques pour les intrants, l’énergie et le matériel agricole. À l’instar de la révolution verte, la révolution génétique risque d’entraîner une vague de faillites et d’exclusion chez les fermiers, conduisant les plus pauvres à la dépossession de leur terre au profit de plus gros producteurs et de spéculateurs, les contraignant ainsi à l’exode vers les villes. Tel qu’indiqué par M. Hathaway, «les firmes reconnaissent explicitement qu’elles ne s’adressent pas aux petits agriculteurs mais aux exploitations intensives en capital, tournées vers l’industrie agro-alimentaire et les marchés d’exportation. Il ne s’agit pas de produire la nourriture dont ont besoin les affamés de la terre».

Nourrir le tiers-monde et la population croissante?

12La promesse selon laquelle les plantes transgéniques permettront de nourrir la population croissante du tiers-monde revêt un grand attrait moral. Pourtant, « aujourd’hui, le monde produit assez de céréales pour fournir à elles seules 3 600 calories à chaque être humain de la planète — assez pour nous rendre presque tous dodus. Le problème tient à la distribution inéquitable des ressources de même qu’au manque d’accès aux ressources pour produire ou acheter de la nourriture » . Nous produisons plus de nourriture par habitant que jamais dans l’histoire.

13Les promesses des tenants de la révolution génétique font écho à celles professées lors de la révolution verte. Au début des années 1960, l’industrie agrochimique brandit le spectre de la croissance démographique, de la famine et de la malnutrition dans le but de pousser les gouvernements et les agriculteurs à produire de façon plus intensive. Quoique la révolution verte ait permis l’augmentation de la production alimentaire, elle échoua singulièrement à résoudre le problème de la faim dans le monde. Environ 35 ans après les débuts de la révolution verte, le nombre de gens qui meurent de faim n’a jamais été si élevé dans toute l’histoire humaine. L’augmentation de la production mondiale de céréales devance de façon substantielle le taux de croissance de la population mondiale depuis 1980 (augmentant d’environ 2.2 % par année comparativement à un taux de croissance de la population de 1.7 %). De surcroît, la focalisation sur les OGM semble faire oublier que d’autres solutions existent : l’augmentation de la production dans les pays du tiers-monde peut découler de d’autres méthodes agronomiques que la transgénèse. Par exemple, l’association arbres, cultures et élevages constitue une voie très productive.

14Les résultats de plus de trois décennies d’une agriculture intensive sont indéniables : contamination des sols et des eaux et empoisonnements par les pesticides et les herbicides, érosion et dégradation des sols, perte de biodiversité, profits pour une minorité, faillite et dépossession pour un grand nombre, érosion du tissu social au sein des communautés paysannes, remplacement de l’économie locale et des techniques de production par une économie basée sur l’exportation des récoltes et perte du savoir local. La faim se résoudra seulement par la souveraineté alimentaire des pays du tiers-monde, «par la reconnaissance de leur droit à se protéger des importations déloyales et du dumping économique, social et écologique des pays riches» (François Dufour, Agriculteur et porte-parole de la Confédération paysanne, France).

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Bibliographie

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Liens Internet :

Courrier de la planèteConfédération paysanneLe Monde diplomatiqueThe corner houseThird World NetworkRAFI

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Pour citer cet article

Référence électronique

Nadine Bachand, « L’impact des OGM sur l’environnement et les relations socio-économiques dans les pays en développement »VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [En ligne], Volume 2 Numéro 1 | avril 2001, mis en ligne le 01 septembre 2001, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/vertigo/4074 ; DOI : https://doi.org/10.4000/vertigo.4074

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Auteur

Nadine Bachand

Étudiante à la maîtrise en sciences de l'environnement, Université du Québec à Montréal, Militante au sein du GRIP-Québec-UQAM et de Biotech Action Montréal(groupe affilié au GRIP).

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