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Dossier: Énergie et environnement

L’électrification rurale décentralisée dans le sud

Nadia Bentaleb

Résumés

Dans les pays du Sud, les solutions énergétiques décentralisées sont souvent mises en œuvre dans le cadre de programme d’électrification rurale décentralisée. Dans cet article, nous présenterons les différentes énergies renouvelables utilisées et les conditions de transfert de technologique. Enfin, nous illustrerons quelques pratiques initiées par différents acteurs : l’Etat, les ONGs, le PNUD et les entreprises.

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Texte intégral

Introduction

1Dans les pays du Sud, la population rurale demeure encore aujourd’hui importante. Une proportion non négligeable des ménages habite dans des villages isolés ou dans habitations dispersées rendant l’électrification rurale par raccordement au réseau national plus complexe. Les solutions énergétiques décentralisées sont privilégiées à chaque fois que le raccordement au réseau national est jugé coûteux. Mais leur développement nécessite des rythmes de progrès technologique soutenus. Il est vrai que le marché potentiel des énergies renouvelables dans les pays du Sud se caractérise par une demande importante. Il n’en demeure pas moins que les conditions de transferts technologiques du Nord vers les pays du Sud sont loin d’être simples : d’une part, les entreprises doivent mobiliser des moyens logistiques et financiers importants pour permettre les innovations technologiques adaptées au sud ; d’autre part, les conditions d’accès aux marchés locaux sont d’autant plus délicats que les entreprises du nord doivent trouver des partenaires locaux.

2Dans cet article, nous commencerons par préciser les différentes énergies d’origine renouvelable utilisées dans le cadre d’une électrification rurale décentralisée (section 1). Puis dans la section 2, nous présenterons les conditions de transfert de technologie. Enfin, dans la dernière section, nous montrerons la difficulté d’inscrire les projets d’électrification rurale dans le cadre du développement durable en raison notamment de l’absence de coordination entre les multiples acteurs présents dans ce secteur.

Transferts technologiques

3Nous avons recours au concept de transfert de technologie pour expliquer les faibles niveaux d’électrification rurale dans les pays du Sud. La technologie est composée d’informations et de savoirs liés à l’utilisation même de cette technique pour réaliser des biens et/ou des services. La notion de technique seule ne traduit pas l’idée de mouvement (concept de transfert) vers différents réseaux comme les organisations et les individus (Gibson, 1997). La circulation des informations contenues dans la technique se heurte tout au long de l’échange à des contraintes dues à la présence d’acteurs devant coopérer alors qu’ils appartiennent à des mondes différents tant d’un point de vue structurel, que culturel et organisationnel. La production et la diffusion d’une technologie forment alors un processus profondément encastré dans l’économique et le social (Radosevic, 1999). Il y a autant de types de transfert qu’il y a de canaux de diffusion des technologies.

Les différentes solutions énergétiques

4Parfois, les solutions décentralisées sont plus rentables que les solutions réseaux. C’est le cas par exemple lorsque la distance du site rural au réseau national est importante ou encore lorsque l’Etat favorise ce type d’installation, en instaurant des mesures favorables aux bénéficiaires (populations concernées et communes rurales). Elles demeurent encore à l'heure actuelle faiblement diffusées. Jusqu'en 1992, la capacité installée des systèmes photovoltaïques dans le monde était à 91% concentrée aux Etats-Unis, dans l'Union Européenne et au Japon (Muntasser, 2000). Actuellement, le partage s’effectue davantage vers les pays du Sud, même si les principaux producteurs de systèmes photovoltaïques se trouvent dans les pays développés. La capacité photovoltaïque installée est d'environ 20% en Amérique du Nord, 25% en Europe, 30% en Asie pacifique et Japon, 6% en Chine et en Inde, 12% en Afrique, 5% en Afrique du sud et 2% dans le reste du monde. Dans les pays du Sud, les principales énergies renouvelables pouvant être utilisées pour réaliser une électrification rurale décentralisée sont :

  • la biomasse,

  • l'énergie solaire photovoltaïque, solaire thermique,

  • l'énergie éolienne,

  • l'énergie hydraulique,

  • l'énergie provenant du biogaz.

5Nous allons passer en revue, les principales applications pour chacune de ces sources d'énergie.

La biomasse

  • 1  Le programme « Stratégie Energie Domestique » a été réalisé grâce à l’appui du programme « Energy (...)

6De nombreux programmes ont été développés pour permettre la généralisation des foyers dits « améliorés ». Ces derniers permettent de rationaliser la consommation du combustible bois ou charbon de bois. Dans les années 1990, au Mali, le programme « Stratégie Energie domestique » a permis la diffusion de 15000 foyers améliorés par an1. L’enquête effectuée par l’ESMAP en 1990, dans le cadre de ce programme permet de réfuter certaines idées reçues. Cette étude a été réalisée auprès d’un échantillon permanent statistique représentatif de chacune des principales villes du Mali : Bamako, Gao, Kayes, Mopti, Ségou, Sikasso et Tombouctou soit au total 2000 ménages. Il apparaît que cuisiner au charbon de bois avec un fourneau de type « malgache » ou même avec un fourneau amélioré mal utilisé, revient au même prix, voire plus cher que cuisiner au pétrole ou même au gaz. Il faut 7 kilogrammes de bois pour produire un kilogramme de charbon. Compte tenu du pouvoir calorifique et des faibles rendements des équipements utilisés, il faut couper deux à trois fois plus d’arbres pour pouvoir substituer du bois au charbon de bois. En milieu rural, outre la non-incitation économique (le bois collecté reste gratuit), la modification du foyer se heurte à des considérations socio-culturelles (vision de la flamme, présence de la fumée, chauffage, éclairage, goût spécifique...). Des tests de dégustation effectués dans des quartiers de Bamako dans le cadre de ce programme ont montré que seules les femmes les plus âgées ont su reconnaître si le riz a été cuit au bois ou par un autre combustible du fait de son « craquant ».  Mais aucune n’a pu détecter la différence de goût selon que la sauce était préparée au charbon de bois, pétrole ou gaz. Les succès les plus probants de l’utilisation des foyers améliorés ont été obtenus au sein de collectivités ou dans les grandes activités artisanales (fours de grande capacité) où l’intérêt d’économiser la biomasse est le plus marqué.

7La densification de la biomasse ou compression mécanique de différents produits de la biomasse (résidus agricoles, poussières de charbon, sciure...) est un procédé utilisé lorsqu’il y a des facilités de transports.

L’énergie solaire thermique 

8Il existe trois principales utilisations de l’énergie solaire thermique : 1) les séchoirs solaires ; 2) les chauffe-eau solaires ; 3) les cuiseurs solaires.

9Les séchoirs solaires transforment la chaleur en énergie solaire par interposition d’une matière dense et opaque. Le rendement moyen est de 4 à 6 kWh par m2 et par jour en temps clair.  Le séchage, dans un séchoir solaire, peut être réalisé de différentes manières : par exposition du produit au rayonnement solaire, par ventilation naturelle ou forcée en utilisant un moteur électrique, ou encore par un système tout solaire ou hybride (une énergie d’appoint autre que solaire permet de chauffer l’air lorsque le rayonnement n’est pas suffisant). L’investissement dans ce type de séchoir est rentabilisé lorsque la maîtrise de la qualité du produit séché permet de dégager soit une forte valeur ajoutée, soit d’augmenter la durée de conservation des produits et/ou de diminuer le volume des pertes des récoltes.

10Le chauffe-eau solaire est caractérisé par un capteur solaire avec stockage ou non de l’eau chaude et par la circulation de l’eau chaude (thermosiphon), ou forcée (pompe électrique). Ces systèmes sont généralement destinés au milieu urbain. Des applications industrielles sont également envisageables (préchauffage de l’eau pour différentes applications nécessitant eau chaude ou vapeur).

11Les cuiseurs solaires sont de trois types : 1) les concentrateurs qui renvoient le rayonnement sous le récipient de cuisson ; 2) les cuiseurs boîtes munis ou non de réflecteurs extérieurs qui consistent en des caisses isolées avec une surface vitrée ; 3) et les cuiseurs à capteur plan où un fluide (air, huile) est chauffé puis conduit jusqu’au caisson de cuisson. Leur utilisation ne pourra se substituer complètement au foyer traditionnel car leur usage dépend de conditions climatiques favorables (temps non couvert, cuisson hors période diurne...). Mais la principale difficulté demeure l’inadéquation aux habitudes locales, les cuiseurs ne pouvant entièrement couvrir l’ensemble des besoins de cuisson. De ce fait, les dépenses en bois et ou en gaz demeurent incompressibles.

L’énergie solaire photovoltaïque

12Par des cellules photovoltaïques, l’énergie contenue dans le rayonnement solaire est convertie en courant continu basse tension. Les modules standard fournissent une puissance moyenne de 100 W par m2 (rayonnement à 25°). L’énergie solaire photovoltaïque peut présenter un intérêt pour le remplacement du pétrole lampant, des piles électriques ou pour les recharges de batteries. Elle permet un service proche du service rendu par le réseau électrique au niveau de la qualité de l’éclairage. L’énergie solaire photovoltaïque nécessite un suivi technique plus important que pour une installation réseau. D’autre part, elle exige un système de stockage qui ne présente pas la même stabilité que le réseau. Cela explique en partie pourquoi son utilisation est peu répandue pour les besoins de production.

13Les systèmes photovoltaïques sont assez diffusés pour l’éclairage et l’alimentation d’une prise pour l’audiovisuel au Maroc, Kenya, Zimbabwe, Indonésie, Mexique ou au Brésil.

14Les pompes solaires sont des pompes électriques alimentées par un générateur photovoltaïque. On distingue deux types de pompes : 1) les systèmes au fil du soleil sans stockage de l’énergie : le débit de l’eau est proportionnel à l’énergie lumineuse avec nécessité de stocker l’eau ; 2) les systèmes équipés de batteries (de moins en moins utilisés). Ces deux types de pompes demeurent toujours non compétitifs par rapport aux pompes diesels car les coûts d’investissement sont élevés.

Energie éolienne

15Les systèmes éoliens permettent de récupérer l’énergie liée au déplacement des masses d’air. L’énergie récupérée est fonction de la vitesse du vent (proportionnelle au cube de la vitesse) et de la surface mise face au vent. L’utilisation de cette énergie est soit directe (mouture, pompage) soit indirecte (production d’électricité via un générateur). Deux applications sont possibles : la production d’électricité et le pompage éolien.

16La production d’électricité (aérogénérateur) : Ces systèmes demandent une bonne technicité. Si l’on excepte l’Inde et la Chine, peu de pays en développement en fabriquent. Les projets demeurent encore à l’heure actuelle des projets pilotes, sauf au Maroc ou en Mauritanie, car ces applications exigent des sites ventés et des niveaux d’investissement élevés.  Les puissances obtenues sont variables selon la vitesse du vent et la taille des pales, récapitulées dans le tableau 1.

17Le pompage éolien : Les pompes éoliennes sont d’une puissance généralement inférieure à 10 kW. C’est une technologie ancienne avec de nombreuses variantes à travers le monde. Elle demande des vents de 3 à 4 mètres par seconde au minimum.

L’énergie thermique contenue dans le biogaz :

18Par fermentation hors de l’oxygène, les composés organiques (déjections humaines et animales) produisent du méthane appelé biogaz. Ces digesteurs se caractérisent par leur capacité (6-12 m3 pour un modèle familial et plus de 100 m3 pour les unités industrielles) et leur type d’installation :

  • Le type chinois à dôme fixe produit de 0,15 à 0,3 m3 de biogaz par jour en moyenne sur l’année,

  • Le type indien à dôme flottant produit de 0,3 à 0,6 m3 de biogaz par jour en moyenne sur l’année.

19Le biogaz est utilisé pour la cuisson des aliments et l’éclairage et l’effluent solide constitué par fermentation des composés organiques, comme engrais azoté.

20Bien que diffusés à des millions d’exemplaires (plus de 10 millions en Chine), les digesteurs peuvent se heurter à des tabous liés à l’usage d’excréments humains ou animaux. De plus, des contraintes techniques demeurent et elles sont dues : 1) à la disponibilité en eau ; 2) au démarrage lent du processus bactériologique. En hiver, dans certaines régions où les températures sont basses, il est nécessaire d’utiliser un petit groupe diesel pour démarrer la fermentation ; 3) à la difficulté de stockage et du transport du gaz.

Tableau 1. Puissances moyennes produites en Kw.  

Source : http://www.matrixenergy.ca/​ap/​rp_wind_2.htm

Surface balayée (m2)

Diamètre
(m)

Vitesse moyenne (m/s)

4

6

8

10

1

1.1

0.019

0.063

0.150

0.292

4

2.3

0.075

0.253

0.599

1.170

10

3.6

0.187

0.632

1.520

2.920

40

7.1

0.749

2.530

5.990

11.700

100

11.83

1.870

6.322

15.011

29.211

L’énergie hydraulique

21L’énergie hydraulique est produite soit au fil de l’eau soit par le biais du stockage de l’eau (lac de barrage, retenues d’eau) qui permet la constitution d’un stock d’énergie électrique mobilisable à tout moment. En milieu rural, les exigences de l’eau pour l’irrigation sont prioritaires par rapport à la production d’énergie électrique. La petite hydro-électricité est très répandue en Asie (plus de 8000 nano-centrales ou petites centrales en Chine) et en Amérique latine, où sont produits des milliers de MW. Si les coûts initiaux d’investissement de la petite centrale sont élevés et se justifient lorsqu’il n’y a pas de réseau électrique, les coûts de fonctionnement sont par contre faibles. Les coûts du kW varient selon le niveau de la puissance installée et selon que le matériel est importé ou pas.

Résumé sur les énergies renouvelables

22En résumé, les coûts d’investissement pour l’utilisation des énergies sont fonction des politiques de subvention ainsi que des temps de retour sur investissement. Les applications électriques renouvelables ont atteint un niveau de maturité technologique uniquement pour les faibles puissances. Elles sont donc plutôt adaptées pour des usages domestiques ou communautaires et pas suffisamment mûres pour des usages productifs. Les blocages majeurs restent socio-économiques. En l’absence d’innovations dans les modes de diffusion, de promotion, de gestion institutionnelle des projets et de suivi par une gestion de la maintenance adaptée, ces blocages font que l'électrification rurale décentralisée concerne davantage des programmes pilotes que des projets de grande envergure.

Etapes de transfert technologique

23Selon Gibson et Rogers (1994), les transferts de technologie comprennent quatre niveaux (figure 1) :

24Niveau I Qualité et R&D : les chercheurs communiquent les résultats de leurs travaux. A ce premier stade, le transfert est encore passif et les chercheurs doivent affronter différentes barrières pour assurer la publicité de la technique.

25Niveau II Acceptation : c’est le début du partage des connaissances entre les développeurs et les utilisateurs. Cette phase conduit souvent à des ajustements de la technique par les chercheurs pour permettre l’exportation de la technique. Cela conduit à des adaptations sur le terrain qui s’inscrivent dans le registre de la "débrouille" et restent entièrement à l'appréciation des hommes de terrain. Ici, l’on prend conscience que la diffusion de telles technologies ne peut pas uniquement être réalisée en laboratoire. Des adaptations sur le terrain sont nécessaires pour les rendre accessibles et utiles aux populations destinataires. L'homme de terrain chargé de mettre en place de tels systèmes doit alors réaliser les adaptations avec de faibles moyens, si possible avec des matériaux disponibles dans le pays d’accueil en raison des coûts importants de ces systèmes.

Figure 1.  Niveaux de transferts de technologies. D’après Gibson et Rogers, 1994.

26Au Vietnam, partant du constat que l'éclairage sert essentiellement pour réaliser les devoirs scolaires du fait de la prime que les parents perçoivent, un chercheur R&D d'EDF a conçu un système électrique efficace en protégeant les lampes incandescentes de tous les insectes attirés par la lumière, en perçant un saladier. Ainsi le nettoyage est facilité et la diffusion de l'éclairage est plus ciblée. De plus, il assure la mobilité de la lampe à une autre pièce, car les devoirs scolaires finis, la lampe est utilisée pour éclairer d'autres activités. A travers cet exemple, il apparaît que l’on est passé de la recherche « théorique » à la recherche « industrialisée » liée à l’entreprise. « La recherche est dans ce cas orientée mission » (O’Connor M et al., 2001).

27Niveau III : Mise en œuvre : C’est à ce stade, que les exploitants de la technologie sont chargés de la tester. Ils doivent avoir le savoir et les ressources pour mettre au point la diffusion de la technique.

28Niveau IV : Utilisation : la technique est commercialisée et le succès de la diffusion peut être apprécié en terme d’acquisition de nouvelles parts de marchés à long terme. A ce niveau, la question d’appropriation de ces techniques aux besoins socio-économiques des utilisateurs locaux est essentielle. Elle conditionne la pérennité de l’utilisation des techniques.

29Les transferts de technologies énergétiques supposent souvent le transfert de plusieurs technologies en même temps pour une utilisation donnée : pour assurer le pompage par un système photovoltaïque, nous pouvons distinguer plusieurs composantes reposant sur une myriade de technologies différentes. Si nous ajoutons à cela, la variété des niveaux de circulation des informations, nous sommes en présence d’un processus complexe. C’est en ce sens que la distinction de plusieurs étapes aide à la compréhension des différentes participations qui se construisent entre les acteurs.

30Pour résumer, la notion de transfert technologique doit, de ce fait, être entendue dans un sens large. Dans les différentes étapes de transfert de technologie, il y a lieu de tenir compte de 3 points essentiels : le niveau de définition des besoins, le niveau de formation qui doit intervenir le plus tôt possible au moment de la mise en œuvre, et le niveau de suivi d’impacts de la technologie. Le transfert de technologie comprend aussi bien les phases qui vont de la conception à la fabrication et à la commercialisation des biens et/ou des services énergétiques que l’appropriation finale par les usagers. Nous comprenons alors, que le passage de ces différents niveaux constitue un labyrinthe qui peut comporter plusieurs voies sans issues.

Des taux d’électrification faibles : une explication par les transferts de technologies

  • 2 On entend par solutions énergétiques décentralisées, les solutions permettant la satisfaction de be (...)

31Le faible niveau d’électrification dans les pays du Sud s’explique par plusieurs raisons : la faible densité de la population, le coût parfois prohibitif pour les populations, la multiplicité des normes, le manque de maintenance, des conditions géographiques inadaptées… mais aussi l’insuffisante percée des solutions énergétiques décentralisées2. En raison de l’accès difficile des populations rurales, les systèmes décentralisés permettent la satisfaction de besoins énergétiques, sans supporter les coûts élevés de connexion au réseau national. Cela n’empêche pas, lorsque la densité de la population rurale est importante, de réaliser des mini-réseaux décentralisés. Le retard de la diffusion des techniques décentralisées ne tient pas à l'inexistence de systèmes opérationnels mais à la lenteur que connaît la diffusion de ces applications, rendant les économies d’échelle encore très faibles. La thèse de Solow (1957) selon laquelle le rattrapage des pays développés par les pays du Sud dépendrait des modalités de transfert technologique repose sur une hypothèse forte et irréaliste, qui stipule que la technique est aisément reproductible et transférable. Depuis, les nouvelles théories de la croissance endogène ont largement réfuté cette thèse. Mais sans partager l’idée d’un impossible rattrapage prônée par ces dernières théories, force est de constater que le développement énergétique est fonction de la vitesse de diffusion des techniques. Les pays du Sud se caractérisent par une faible diffusion des techniques. Cette situation n’est pas inédite mais elle a été largement illustrée pendant la révolution industrielle en Europe. L'utilisation massive de l'énergie à des fins productives ne s'impose que très lentement. Hors Royaume Uni, il aura fallu trois quarts de siècle en Europe pour que la production de la fonte de fer soit réalisée simultanément par le charbon de bois, puis par les machines à vapeur, puis finalement par le charbon de terre. Trois quarts de siècle se sont également écoulés entre la pompe à feu de Newcomen en 1705 et la machine à vapeur de Watt en 1782. Il faudra près d’un demi siècle avant la mise au point par Marc Seguin en 1828 de la chaudière tubulaire qui seule assurera la motorisation des locomotives, puis encore une trentaine d’années avant que la navigation à vapeur devienne rentable (Meignen, 1996). Nous pourrions multiplier les exemples pour souligner qu'il faut un temps avant que le forgeron maréchal-ferrant, vendant et entretenant l’outillage agricole, ne se mette à réparer et à fabriquer des vélos avant de transformer son atelier en garage. Il peut arriver que les ressources disponibles localement favorisent une accélération dans la diffusion d’une technologie. Si nous comparons les développements asiatiques et africains, nous constatons qu'en Asie, la présence de nombreux cours d'eau, a permis la diffusion de l'énergie hydraulique. En Asie 20% du potentiel hydroélectrique contre seulement 5 % en Afrique sont exploités. Le potentiel de croissance est donc important, en particulier dans les pays émergents et en développement. De plus, la production d’origine hydroélectrique est environ 5 fois plus importante en Asie comparativement à l’Afrique.

Tableau 2.  Production hydroélectrique.

Source: Water Power and Dam Construction, 1995 et International Journal on Hydropower and Dams, 1997.

TWh/an (1995)

Grandes centrales

Petites centrales

Totale

Afrique

65.4

1.6

67

Asie

291

42

333

Monde

2265

115

2380

32Par contre, en Afrique malgré le potentiel solaire existant, l’énergie solaire progresse difficilement en raison notamment d’un marché solvable restreint et des investissements lourds. Certains composants des systèmes photovoltaïques nécessitent une grande capacité d’investissement, une main d’œuvre hautement spécialisée, la disponibilité d’énergie électrique bon marché et des produits spécifiques comme les gaz purs. Une étude réalisée en 1987 pour le compte du Centre de Recherche sur l’Energie Solaire de Bamako (Mali) montre que la production d’une usine de photopile d’une capacité de 300 kWc, à construire au Mali, exige un investissement de 5 millions d’Euros et un surcoût de l’énergie électrique de l’ordre 500% par rapport à une usine en France (Bennallou et Rodot, 2002).

33Les entraves à la diffusion des systèmes énergétiques décentralisés sont de plusieurs ordres:

  • 3  Un système photovoltaïque est composé d’au moins une batterie, d’un régulateur, d’un ou plusieurs (...)

34L'investissement en système de production décentralisé d’énergie est souvent hautement capitalistique pour des populations ne disposant que de faibles revenus. Le marché d’occasion est caractérisé par de faibles échanges et ne permet pas toujours le remplacement d’un élément défectueux de systèmes photovoltaïques par exemple3. Souvent les constructeurs vendent un système complet avec toutes les composantes à assembler. Les constructeurs sont tenus de respecter certaines normes dans la fabrication de chaque élément du système pris individuellement. Mais il n’existe pas à proprement parler de standards dans la comptabilité d’éléments provenant de systèmes différents. L’adaptation d’une composante d’un système photovoltaïque à un autre nécessite un savoir théorique qui n’est pas à la portée immédiate des ruraux. L’un des autres freins au développement des énergies renouvelables est l’absence de standardisation des techniques. En effet, la concurrence entre les différents fabricants, entraîne des verrouillages technologiques qui ne favorisent pas la compatibilité des différents équipements. Cette situation contribue à accroître la dépendance à l’extérieur des pays du Sud si le marché intérieur n’est pas suffisamment alimenté en pièces de rechange. De nombreux équipements ne peuvent être réparés lorsque les pièces courantes ne peuvent être remplacées, faute de pouvoir se les procurer.

35Les pré-requis pour la compréhension des modes de fonctionnement des équipements sont nombreux. En l’absence de sessions de formation institutionnalisées, les règles fondamentales de fonctionnement ne sont pas assimilées. Cette situation a des conséquences d’autant plus négatives que le matériel est livré dans les pays avec des notices insuffisamment détaillées, lorsqu’il n’y a pas confusion des notices d’utilisation entre des matériels différents. « L’ensemblier doit fournir une notice claire avec plans s’il s’agit d’une grosse réalisation ou avec une notice facile à utiliser et à la portée de l’utilisateur si ce dernier doit effectuer le montage lui-même (pour un kit par exemple) » (Courillon, 2000).

36Si l’on ajoute à cela, l’absence de mise en garde des populations contre les dangers potentiels d’utilisation des matériels électriques, les règles les plus élémentaires de fonctionnement ne sont pas suffisamment assimilées (Courillon, 2000).

37La mobilisation des ressources financières ou des subventions internationales n'est pas toujours facile. Le plus souvent, les coûts élevés d’installation et de production combinés à la faible demande ne rentabilisent pas l’offre d’énergie électrique. Les projets d'électrification nécessitent une subvention partielle ou totale des équipements électriques. Seuls sont à la charge des populations les coûts d'entretien voire, dans le meilleur des cas, le renouvellement du petit matériel. Pour ces cas, des arrangements sont envisageables pour assurer l'indépendance financière des projets : mise en place de petits groupes électrogènesdiesel (Plate-forme PNUD de Dembella Mali) ou de petits systèmes photovoltaïques (Centre de communication et d’activités de Massala ADEME/EDF). L’électrification étant coûteuse pour les sociétés publiques d’électricité en place, plusieurs opérateurs étrangers privés développent alors des programmes en choisissant souvent de manière aléatoire les villages en raison des difficultés d'opérer dans des zones rurales où l'information, les fonds et les compétences techniques sont limités. Cela se traduit souvent par l'impossibilité de mise en œuvre d'une planification énergétique rurale à l'échelle nationale (Munasinghe, 1991).

38Les coûts de transactions (principalement de maintenance des équipements) sont importants en raison de l’absence de politique d’encouragement de l’investissement étranger du pays d'accueil. Ainsi dans les pays d'Afrique de l'Ouest, il est frappant de découvrir la multiplicité d'acteurs ayant pour but le développement énergétique. Même si leurs objectifs convergent, force est de constater l'absence de coopération entre tous ces intervenants sur le terrain. Une solution énergétique innovante est initiée par des acteurs différents sans que ces derniers puissent capitaliser les expériences antérieures effectuées par d'autres partenaires. Chaque acteur verrouille l'information, si bien que les bilans permettant de dresser l'état de la diffusion d'une technologie ne sont effectivement connus que par quelques personnes, qui se gardent bien de partager l'information disponible.

  • 4  Nous entendons par institution une organisation comme une firme, une organisation non gouvernement (...)

39L'insuffisante sensibilisation des populations aux nouvelles technologies conduit à terme à une non-appropriation. C’est pourquoi favoriser les conditions d’un transfert de technologie réussi est un élément essentiel de la durabilité. En l’absence d’une coordination en matière d’investissement, certains choix technologiques peuvent conduire à des verrouillages (lock-in) concernant la non-appropriation par la société et la non-efficacité sur le long terme. Pour ces raisons, la phase de transfert technologique demeure une composante essentielle d’une stratégie industrielle d’une institution.4

40A partir du moment où une installation dépend soit du soleil, soit du vent ou de l’exposition à une source de chaleur, sa position revêt une importance capitale pour une utilisation rationnelle. Ainsi, le dysfonctionnement d’un système photovoltaïque provient souvent d’une mauvaise installation : inclinaison et ou orientation inappropriées des panneaux, exposition plus grande aux intempéries ou risques de dommages matériels (Courillon, 2000). Par ailleurs, les pannes fréquentes des systèmes sont souvent dues à des réglages imprécis (mauvais serrage des connexions...) ou, plus fréquemment, résultent d’une utilisation inadaptée. Un dimensionnement inadapté des équipements peut inciter par exemple à des branchements pirates de batterie et entraîne un déséquilibre du système d’alimentation et donc un vieillissement prématuré de l’ensemble de l’équipement.

  • 5 Ademe, 2000, Pérennisation de l’EDR : la maintenance, Silène France.

41Un transfert technologique inadapté peut résulter d’une négligence conduisant à une détérioration du matériel. Ainsi, la gratuité de la ressource solaire associée, l’assimilation insuffisante des règles fondamentales de fonctionnement des systèmes photovoltaïques conduisent à une détérioration du matériel du fait de l’absence d’entretien à trois niveaux (Ademe, 2000)5 :

  • Niveau 0 : niveau d’entretien par les villageois ou les utilisateurs comme par exemple l’ajout d’eau distillée dans les batteries, le nettoyage des panneaux à l’aide d’un chiffon pour retirer les poussières...

  • Niveau 1 : niveau d’entretien par le responsable technique du projet (remplacement de régulateurs, de la batterie…)

  • Niveau 2 : niveau d’intervention d’un technicien régional en cas de pannes plus importantes.

42Le mauvais entretien à ces différents niveaux peut résulter du fait d’un non-accès aux équipements. Au Burkina Faso, pour extraire une station de pompage en vue de la réparer, il a fallu démonter le toit du local.

43Le problème d’entretien régulier des installations électriques n’est pas spécifique aux applications basées sur des sources d’énergies renouvelables. On retrouve la même nécessité d’entretien pour les groupes diesels. Mais pour les technologies mécaniques diesel, les modes de fonctionnement et d’entretien sont plus facilement assimilés du fait de la large diffusion de moteurs diesel régis par les mêmes règles de fonctionnement. La CEES (Cellule d’Entretien des Equipements Solaires de la Direction Nationale de l’Hydraulique et de l’énergie du Mali) a effectué le suivi pendant un an de 39 pompes à partir de Bamako et de 66 pompes dans la zone Mali Aqua Viva, soit 105 pompes. Il en ressort qu’il faut compter au moins une intervention en moyenne par an et par pompe. Mais sur les 49 interventions, 30 sont non-spécifiques au photovoltaïque. La maintenance des systèmes électriques suppose l’existence d’un circuit de réparation rodé à tous les niveaux.

44Le risque majeur de non-diffusion des technologies renouvelables apparaît lorsque certains équipements expérimentaux n’ayant pas fait l’objet de tests suffisants en laboratoire et sur site sont vendus à grande échelle à des ONGs ou d’autres bailleurs de fonds surtout en l’absence de l’implication du fabricant dans un projet de développement. Il est important que les tests soient effectués sérieusement en laboratoire, mais aussi sur le site d’implantation. Les retours d'expérience sont d'autant moins importants que les équipements électriques de sources renouvelables demeurent faiblement utilisés dans les principaux pays exportateurs. Les dépenses de recherche consacrées aux énergies renouvelables sont faibles même dans les pays développés. Pour 23 pays industrialisés, les dépenses publiques consacrées à l’énergie sont passées de 12.5 milliards de dollars en 1985 à 7.5 milliards de dollars en 1999 (AIE, 2001). 95% des efforts de recherche et développement sont réalisés par neuf pays de l’OCDE (McDade et Johansson, 2001). Or, ces efforts ne privilégient pas les conditions de transfert de ces technologies aux pays du Sud. Beek et Benner (1998) ont relevé les principales motivations dans le développement des énergies renouvelables en prenant 16 pays : l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, les Etats-Unis, la Finlande, la France, la Grèce, l’Irlande, l’Italie, le Japon, le Luxembourg, la Norvège, les Pays Bas et le Portugal. Les résultats de leur étude montrent que le développement des énergies renouvelables est motivé en premier lieu par la réduction des émissions polluantes et le développement industriel, puis par l’indépendance énergétique, la création d’emplois, la réduction des coûts, le développement durable et enfin l’avancée technologique.

45Les programmes d’électrification rurale peuvent être initiés par différents acteurs : l’Etat, les ONGs, l’aide internationale et les entreprises. Chaque type d’acteur adopte une approche particulière de l’électrification rurale décentralisée.

Stratégie d’implantation dans les pays du sud

46Il convient de faire la distinction entre l’entité offrant le service énergétique et celle propriétaire des moyens des infrastructures. Si l’on prend comme critère de distinction, la propriété des infrastructures, nous pouvons envisager quatre cas possibles :

47Le service électrique est assuré par une entreprise publique : c’est la forme de propriété la plus courante, où l’Etat doit rendre compte de sa gestion dans le cadre de contrats-plan ou de contrats-gestion.

48L’Etat est propriétaire, mais l’exploitation est sous-traitée au secteur privé : ce dernier est souvent chargé de l’entretien et de l’exploitation de l’équipement, voire dans certains cas de la construction de l’infrastructure (gestion déléguée de type concession).

49Le service privé est propriétaire des infrastructures mais son activité est réglementée.

50Le service est assuré par la communauté et l’usager qui sont propriétaires ou pas des équipements. Cette solution est privilégiée lorsque les services publics ne permettent pas la satisfaction de tels besoins.

51Bien sûr, ces quatre situations ne sont pas exhaustives mais permettent de dresser les cas les plus courants. La capacité de mobiliser des financements adéquats pour le développement de services apparaît à chaque fois indispensable.

Place de l’Etat

52Plus que jamais, la nature du développement de l'électrification rurale décentralisée dans les pays du Sud n'a que très peu de chose à voir avec celle des pays développés. Dans ces derniers, l'Etat a particulièrement œuvré pour assurer la cohérence des schémas d'électrification, leur programmation, et surtout leur concrétisation en renforçant la législation et la réglementation. L'Etat a intégré la dimension économique par la mobilisation des forces économiques, sociales et administratives de la nation pour résoudre les problèmes qui se posaient. Cela s'est traduit dans certains pays (cas de la France) par l'émergence de concepts innovants tels que la péréquation tarifaire ayant favorisé la réalisation simultanée de l'électrification des villes et des campagnes, à une époque où les ruraux ne pouvaient pas financer à eux seuls leur électrification.

  • 6 Pour plus de détails sur le développement des énergies renouvelables en site non raccordé au réseau (...)

53En France, L’époque qui a précédé la nationalisation de l’entreprise actuelle EDF (Electricité de France), a été marqué par deux grands débats : 1) le problème de l’électrification rurale du fait du coût élevé d’installation des lignes électriques ; 2) et la question de l’équipement hydroélectrique dans des cours d’eau loin des zones de consommation. Ce sont ces circonstances qui ont conduit à la nationalisation de l’électricité après un vote à l’unanimité par la chambre des députés en 1946 (Stoffaes, 1996).  L’électrification rurale française qui a été entièrement achevée au début des années 1960, a été permise grâce à la création dès 1936, du Fonds d’Amortissement des Charges d’Electricité (FACE). Le FACE applique sur les recettes basse tension des distributeurs d’électricité, un taux cinq fois plus élevé en zone urbaine (1,95% en 1993) qu’en zone rurale (0,39% en 1993). Le FACE au cours des années s’est vu octroyer d’autres responsabilités comme le renforcement de la qualité des réseaux, l’amélioration de la capacité de transit énergétique, de leur fiabilité et de leur esthétique et plus récemment, en 1994, un programme spécial énergies renouvelables et maîtrise de l’énergie a été créé (Donizeau, 2001).6

  • 7  Pour plus de détails sur l’exemple fournit par la caisse de Stabilisation de la Cote d’Ivoire, voi (...)

54A un moment où les réserves, que ce soit en pétrole, gaz ou charbon s’avéraient importantes, la solution réseau pour l'ERD s'imposa dans les pays développés. Pendant longtemps, la légitimité de l’intervention de l’Etat pour l’offre d’un service énergétique était fondée en économie sur la théorie des rendements croissants et celle des économies externes inspirée des travaux de Marshall puis de Scitovsky (1954). Jusque dans les années 1950, dans la plupart des pays industrialisés, l’état gérait les dépenses publiques, considérées comme le moteur du développement. Pour mettre fin au « cercle vicieux de la pauvreté », Ragnar Nurkse (1952), préconise l’investissement par l’Etat pour permettre soit l’accumulation du capital (Rosenstein-Rodan, 1943) soit en assurant le passage du secteur agricole au secteur industriel (Lewis, 1954) ou encore pour permettre le décollage économique (Rostow, 1956). Ces théories ont été appliquées dans plusieurs pays en constituant des « réserves nécessaires à la stabilisation »7, que ce soit en Algérie avec l’essor des industries industrialisantes ou en Amérique Latine avec les thèses prônant la substitution des productions nationales aux importations, pour ne citer que ces exemples. L’Etat intervient pour réguler le prix des matières premières, en particulier celles destinées à l’exportation. Il se rémunère en prélevant des droits notamment sur les exportations. Mais, à partir des années 1980, les chocs pétroliers accélèrent l’endettement croissant de l’Etat. La spécificité de la demande et le fort endettement de l’Etat font que ce dernier ne peut assurer le financement d’infrastructures de base : la plupart des monopoles d’électricité sont déficitaires et des coupures fréquentes d’électricité se multiplient dans les centres urbains. L’électrification rurale ne peut être assurée, privant ainsi la majeure partie de la population de l’accès à l’électricité. Dans un contexte international de crise, la rupture de la croissance économique dans les pays industrialisés a réduit les débouchés à l’exportation des pays en développement et a renforcé leurs difficultés à rembourser leur dette. L’Etat qui était intervenu pour financer les infrastructures de développement, caractérisées par une rentabilité à long terme, se retrouve en cessation de paiement. Parallèlement, la montée en puissance des pays de l’Est asiatique renforce l’idée de la non-intervention de l’Etat pour permettre le libre jeu des mécanismes de marché. A partir de ce moment-là, on assistera à un retour en force des thèses libérales dans les théories du développement (Gore, 2000), favorisées aussi par les rapports critiques des grandes institutions internationales basées à Washington, la Banque mondiale, et le Fonds Monétaire International (FMI). La convergence internationale des stratégies de développement promues par le corps commun de la sagesse de « tous les économistes sérieux » est ce que Williamson appelle le « consensus de Washington » (Williamson, 1993, p. 1334). Le consensus de Washington se distingue par une intervention minimale de l’Etat pour contrer les mécanismes de « free rider » (Buchanan, 1968) qui rendent inefficace la régulation par le marché. Le consensus de Washington de Williamson repose sur 10 propositions (Singer et al, 2001, p 52) :

55Une discipline fiscale qui permet de dégager un surplus budgétaire mesuré en pourcentage du PIB d’un pays ;

    • 8 Option citée par Singer et al. (2001) : Cornai G.A, Jolly R. et Steward (eds), 1987, Adjustment wit (...)

    Une priorité aux dépenses publiques à haut retour économique comme la santé ou l’éducation. En réalité, ces secteurs sont affectés par la discipline fiscale imposée pour le remboursement de la dette. Des études effectuées par l’UNICEF montrent que l’ajustement avec un visage humain se fait au détriment des groupes les plus vulnérables (Cornia et al., 1987)8 ;

  • Une réforme des impôts avec une réduction du taux marginal des taxes ;

  • Une libéralisation financière ;

  • Des taux d’échange unifiés et compétitifs ;

  • Une libéralisation du commerce par la suppression des quotas et la réduction des tarifs à court terme ;

  • La suppression des barrières d’entrée : des avantages égaux aussi bien pour un investissement direct étranger que pour un investissement domestique ;

  • La privatisation ;

  • La dérégulation dans le but d’atteindre des objectifs sociaux de développement ;

  • Des droits de propriété garantis.

  • 9  Gore (2000) définit le paradigme comme l’ensemble des croyances, des valeurs et des techniques que (...)
  • 10 Notre traduction.

56Gore (2000) analyse le passage d’une économie dominée par le leadership de l’Etat, à une économie de marché, en assimilant le « consensus de Washington » à un paradigme9. Pour cela, il distingue deux grandes périodes dans les politiques de développement : la période 1950-1990 et après 1990. Les experts partisans du consensus de Washington essayent une conciliation du LIEO (Liberal International Economic Order) avec le développement durable. Le rapport de la Banque Mondiale sur le développement (1990) humanise « le consensus de Washington » en introduisant l’approche du « friendly market ». Cette tendance de rapprochement du marché au développement a conduit à des résultats éloignés des recommandations du consensus de Washington. Si bien que la Banque Mondiale finit par reconnaître que « les politiques inscrites dans le consensus de Washington ne sont ni la cause d’une hausse de croissance, ni la cause des crises » (World Bank, 1999, p. 2)10. Pour Gore (2000), les crises financières mexicaines et asiatiques au milieu des années 1990, expliqueraient un changement de tendance dans les pratiques et les orientations du développement. Après la crise financière mexicaine de 1994, Krugman considère le caractère dépassé du consensus de Washington : les politiques promues par les grandes institutions internationales ont permis l’attraction de capitaux privés, qui ont à leur tour favorisé les réformes économiques. Face à la multiplication des crises financières dans les années 1990, les économistes dominants envisagent la nécessité « d’un post-consensus de Washington » (Stiglitz, 1998) et s’accordent sur le fait que le changement ne doit pas provenir de l’extérieur, mais de la participation et du consensus (Gore, 2000). A la lumière de ces enseignements généraux sur l’évolution du rôle de l’Etat, on comprend pourquoi les taux d’électrification rurale ont faiblement progressé. L’électrification rurale n’est pas un domaine rentable où les mécanismes de marché peuvent jouer pleinement sans régulation. Les coûts d’électrification sont trop élevés et l’aide internationale ne peut se substituer aux efforts des gouvernements pour atteindre ces populations.

Les ONGs

57Avec l’accroissement de la défaillance de l’Etat dans des domaines dont il avait traditionnellement la responsabilité, les ONGs se sont spécialisées dans leur soutien aux « petits projets énergétiques participatifs », se démarquant ainsi de l’approche technicienne et productiviste des grands projets de coopération publique. « Le petit projet » est conçu comme un outil de promotion de solutions énergétiques décentralisées, outil initié par les acteurs de base (bottom up decisionmaking). Cette logique d’action a fondé la légitimité d’intervention des ONGs dans un environnement concurrentiel de la coopération au développement. Elle a permis de créer une autre voie de développement, résumée sous l’expression « associationnisme » (Rouillé d’Orfeuil, 1984). Les projets d’électrification concernent généralement une échelle villageoise mais peuvent être étendus à un niveau régional, voire national.

58A partir d’une évaluation de huit projets sur la base de documents fournis par les Ongs, Piveteau et Billaud (1999), soulignent que les analyses socio-économiques conduites avant l’électrification effective des populations rurales restent « rudimentaires ou ne sont pas articulées par la suite au suivi » (Billaud et Piveteau, 1999, p16). Les analyses menées comportent un volet technique important, pour l’identification de la solution décentralisée d’électrification.

  • 11 ONE est la principale compagnie électrique au Maroc et constitue un monopole d’Etat.

59L’ONG intervient là où l’état ne veut pas s’engager. L’électrification rurale du premier village électrifié par un groupe électrogène Imgoun, en 1989 par Migration et Développement au Maroc (M&D) n’est pas située dans une zone prioritaire pour l’ONE (Office Nationale de l’Electricité)11. En effet, Imgoun est dans la province de Taroudannt, plus grande province du Maroc et montagneuse à 60% : ce qui rend l’accès particulièrement difficile. De même l’électrification par CODEV Viet Phap en 1995, de deux villages par systèmes photovoltaïques se réalise dans le Delta du Mékong du Vietnam, non inclus dans la planification, du fait du caractère marécageux du territoire. L’ONG vient combler la défaillance de l’état en matière d’électrification par des réalisations plus ou moins durables.

  • 12  Pour plus de détails, voir Bentaleb N., (2001).

60Pour l’ONG, l’électrification n’est pas une fin en soi mais un moyen d’atteindre un objectif ou plusieurs objectifs de développement vaguement définis : améliorer les conditions des ménages, diminuer l’exode rural etc. Le nombre de projets réalisés en matière d’électrification rurale par Migration et Développement est important mais les réalisations de M&D ne se limitent pas à ce champ. Souvent un projet d’électrification vient après ou avant un projet de construction de route, d’adduction d’eau potable ou de formation. Il est à chaque fois l’expression des besoins d’une population locale qui s’appuie sur les actions de l’ONG pour constituer une dynamique communautaire locale. Dans l’offre d’électrification décentralisée que M&D propose aux populations, on retrouve plusieurs éléments d’une démarche participative articulée autour de six éléments : 1) la participation des villageois au soutien des émigrés ; 2) la péréquation locale par le soutien des familles les plus riches accordé aux familles les plus démunies : en témoigne les taux d’électrification des villages à 100% ; 3) la formation des jeunes du village pour assurer l’électrification de leur village ; 4) la maîtrise de l’énergie en utilisant des lampes basse consommation ; 5) l’adoption d’une solution technique adaptée par un dimensionnement spécifique au village ; 6) la responsabilisation des usagers par la création d’une association des usagers, entité qui assure la gestion du service électrique. Les surplus dégagés par un projet d’électrification sont utilisés pour la réalisation d’un autre projet d’électrification. C’est en ce sens que l’électrification rurale permet de rentrer dans un cercle vertueux de développement. Cependant, une étude approfondie de l’offre énergétique révèle que l’offre conditionne la demande. La plupart du temps, il est proposé des services énergétiques permettant des usages limités car l’offre est définie à partir d’une puissance minimale. L’absence de compteur individuel pour chaque ménage conduit à définir des services énergétiques forfaitaires autorisant de faibles usages énergétiques. Ces derniers se réduisent souvent à l’éclairage et à l’alimentation d’une télévision. Les populations prennent de mauvaises habitudes. Suite à notre enquête auprès d’une cinquantaine de femmes à Tambacara (région de Kayes, Mali) en avril 2001, le paiement forfaitaire n’incite pas à éteindre la lumière, lorsque la pièce n’est pas occupée. Il semblerait que les lumières restent allumées jusqu’à l’arrêt de la centrale. La justification de ce comportement tient à leur frénésie de consommation et leur satisfaction de profiter d’un service énergétique qui ne leur coûtera pas plus cher12. Une offre d’un service énergétique forfaitaire ne s’inscrit donc pas dans une approche de maîtrise de l’énergie pourtant indispensable pour la satisfaction du plus grand nombre.

61Certes la demande en éclairage pour des usages domestiques est importante mais, il ne faudrait pas négliger le besoin exprimé pour des usages productifs. L’électrification par groupe électrogène exclut de fait la satisfaction de cette dernière catégorie d’usage, puisque le groupe ne fonctionne que quelques heures par nuit. Le fonctionnement du groupe toute la journée nécessiterait un consensus au sein du village et un surcoût que tout usager n’est pas toujours en mesure de supporter. Le dimensionnement des systèmes pour la satisfaction de l’éclairage en priorité limite les capacités d’adaptation du service énergétique à d’autres types de besoins (en particulier les besoins productifs), puisque l’usager ne bénéficie de l’électricité qu’un nombre limité d’heures et généralement la nuit.

62Une relation partenariale s’effectue en général entre l’ONG et la population locale, qui bénéficie du projet. L’ONG peut bénéficier d’un soutien de proximité (aide étrangère provenant d’organisme de coopération…) ; mais, la pérennité du projet est assurée par la substitution des acteurs locaux à des acteurs internationaux. En l’absence d’appropriation du projet par la population locale, les installations, non entretenues, ne sont plus fonctionnelles. La durabilité du projet est dans ce cas compromise.

63Enfin, l’action d’une ONG peut être une action de médiation et de coordination entre les bailleurs de fonds, une ou plusieurs entreprises, l’Etat (à travers les autorités communales, provinciales) et la populations locale.

Stratégie d’indépendance technique

64Dans une stratégie de type « indépendance technique », le transfert se réalise dans le cadre de l’aide au développement. Elle s’inscrit dans une optique de décentralisation, avec une implication forte des villageois dans la gestion directe du programme d’électrification. Partant du constat que les projets entièrement subventionnés ne sont pas durables, le PNUD (Programme des Nations-Unies pour le Développement), a lancé au début des années 1990 le programme de plates-formes multi-fonctionnelles avec pour objectif la lutte contre la pauvreté des femmes (figure 2). L’appropriation du projet implique la participation des associations villageoises (environ 50 %). Une plate-forme comprend un moteur, un moulin de céréales, un broyeur de karité, un alternateur, un poste à soudure. La plate-forme permet aussi l’éclairage du village et parfois même l’alimentation d’une pompe hydraulique. Le PNUD favorise le transfert technologique et veille à assurer la formation du personnel des électriciens. La gestion courante de la plate-forme est assurée par l'association de femmes. Le comité des électriciens assure le suivi technique du réseau électrique et veille au recouvrement des redevances des abonnés. Les fonds qu’il récolte après déduction des charges de fonctionnement (dépenses en carburant et salaire de l’électricien essentiellement) sont reversés au comité de gestion féminin, qui se charge à son tour de faire transiter ces fonds à l’association des femmes (propriétaire des équipements). Par ce type de gestion, le comité des électriciens rend compte au comité du village de l’importance des revenus versés à l’association de femmes et permet ainsi d’assurer le contrôle par les hommes des revenus perçus par les femmes. La cellule d’appui conseil est chargée de veiller au bon fonctionnement de la plate-forme et intervient en cas de panne de la plate-forme. Elle forme le personnel, mobilise les crédits locaux auprès des associations villageoises. Les différentes cellules de conseil sont coordonnées par une super-structure : le directeur national qui est responsable des fonds procurés par le gouvernement du pays d’accueil grâce aux dons du pnud (le bailleur de fonds).

65Ce type de gestion favorise la participation des populations locales par une appropriation totale du projet. Ainsi, l’autonomie est assurée non seulement d’un point de vue technique par le transfert d’un savoir-faire mais aussi financier. Cependant, l’obligation de gestion de la plate-forme par les femmes, qui est imposée par le PNUD, s’est traduite par la constitution d’un circuit de gestion parallèle masculin et composé des notables du village. Cela réduit d’autant les marges de liberté des femmes qui se sentent obligées de se soumettre aux avis émis. Comme, de plus, les bénéfices générés permettent au mieux de couvrir les charges d’exploitation, le surplus sert davantage à fournir des privilèges aux notables du village qu’à servir de base à l’accumulation de capital pour les femmes. Le transfert de technologie favorisé par le concept de plate-forme n’est pas sans poser quelques dysfonctionnements : bien que les recettes soient distribuées à l’association de femmes, certaines femmes délaissent les moulins de la plate-forme et préfèrent se rendre aux moulins privés. La plate-forme PNUD a ainsi permis l'émergence de deux moulins qui concurrencent son activité. Il s'agit de l'imitation de la prestation d'un service qui se construit autour de la possession d'un bien importé de l'extérieur. Cela s'explique par différentes raisons :

66En premier lieu, la faible technicité de cet équipement a permis assez rapidement la formation d'un capital humain permettant au moins l'entretien du matériel nécessaire à son fonctionnement quotidien. De plus, la formation par le PNUD d'électriciens issus du village permet aux meuniers privés de recourir aux conseils et savoir-faire du personnel de la plate-forme lorsque cela est nécessaire. Les résistances de transferts de savoir-faire sont d'autant moins fortes que la demande provient de personnes appartenant au conseil du village et hautement respectées en raison de leur rang social dans le village (situation des propriétaires de moulins à Dembella).

67En second lieu, le capital nécessaire pour l'acquisition du groupe électrogène pour alimenter un moulin (karité et grains) et/ou une décortiqueuse est vite rentabilisé, car il existe une demande locale régulière surtout dans des villages de taille importante. La mouture du grain, qui se fait chaque jour en raison de la détérioration rapide de la qualité gustative des céréales, peut libérer du temps pour effectuer d'autres activités rémunératrices. De plus, la structure éclatée du village (cas de Dembella qui s'étend sur trois kilomètres) autorise la multiplication des moulins pour satisfaire plusieurs concentrations de la demande. Tout un nouveau quartier s’est développé, situé en marge du centre du village, qui correspond à la volonté du maire d’étendre sa commune loin du centre. Les femmes apportent leurs grains à moudre après leur retour de la brousse ( travail au champ privé, récolte de noix de Karité et collecte du bois pour cuisson…). Bien qu’elles soient fatiguées (elles travaillent en moyenne cinq heures avant chaque repas) et pressées, car la cuisson du repas prend du temps, elles vont au moulin pour libérer du temps afin d’exercer une autre activité génératrice de revenu.

68Troisièmement, les arrangements proposés par les moulins privés tels que les possibilités de crédits, la flexibilité des horaires d'ouverture ou la possibilité de moudre de petites quantités de grains font qu'ils concurrencent la plate-forme PNUD où travaillent des salariés, avec des horaires de travail plus rigides. L’ouvrier du moulin privé est sur place toute la journée et même une partie de la nuit et moud n’importe quelle quantité de grains.

69Finalement, la volonté du PNUD de diminuer la vulnérabilité des femmes en favorisant conjointement un développement économique et humain se traduit surtout par une concentration sur le développement humain (éclairage et alimentation du centre de santé). La gestion institutionnelle du PNUD en affichant clairement que les bénéfices de la plate-forme seront attribués collectivement aux femmes, n’incitent pas les hommes à favoriser l’accumulation du capital de ces dernières. Face au respect des coutumes (non-concurrence des meuniers privés), la maximisation du profit n'est pas un critère prioritaire dans l'échelle de satisfaction des femmes. La résistance au changement est un acte pouvant être interprété comme une infraction aux règles anciennes ayant un fondement dans les croyances et qui peut entraîner une sanction (Lachaud, 1985).

70La volonté affichée du PNUD de confier la gestion de la plate-forme aux femmes, peut conduire à terme à réduire la pérennité de ce projet. Mais, les conditions de transferts technologiques sont assurées, car le savoir technique transmis aux électriciens par les formations du PNUD se diffuse de manière informelle, à l’occasion des maintenances que ces derniers assurent aux moulins privés. Il apparaît que les conditions de transfert technologique sont conditionnées par la capacité d’assimilation et d’adaptation de la technologie transférée par celui qui reçoit (Schembri et Petit, 2002 ; Tispouri, 1999).

Figure  2.  Schéma récapitulatif du mode de gestion de la plate-forme PNUD au Mali

Veille technologique

71Certains projets sont réalisés pour assurer une veille technologique et permettre d’avoir une expérience pilote dans un pays du Sud. Cela se réalise souvent par la délégation du transfert technologique à une société locale. C’est le cas du CCA (Centre de Communication et d'Activité). Ce concept est né en 1992 sur l'initiative d'EDF, de l’ADEME, de TOTAL et de FRANCE TELECOM pour doter certains villages ruraux du Sud, ayant de 2000 à 5000 habitants, d'un ensemble de services permettant la satisfaction de besoins primaires minimums. Ce groupement a expérimenté le CCA dans trois pays sahéliens : le Burkina Faso, le Mali et le Bénin. Les villages ayant accueilli des CCA ont bénéficié également de programmes de pompage d’eau potable (les deux premiers pays au sein du CILLS-programme régional de pompage solaire (PRS) et le Bénin par l’Agence Française de Développement).

72Le CCA est un centre multi-service offrant : 1) des services marchands (téléphonie, séance de TV-magnétoscope, location de kits photovoltaïques pour : éclairage, lampes solaires portatives, boites d'énergie, recharge de batteries, rafraîchissement de boissons) ; 2) des services non marchands d'intérêt général dans des locaux communautaires (dispensaire, école..) et éclairage public des rues principales du village (Courillon et Blary, 2001). L’offre énergétique dépend du gisement local d’énergie : solaire, éolien, hydraulique, biomasse, gaz, gasoil… La gestion de ce centre est assurée par une société privée locale ou par une ONG.

73La gestion de type privé par une société locale s’effectue par l’intégration de services de différente nature. La délégation de gestion à une société privée (cas des CCA du Bénin) permet de pallier l’absence d’infrastructure (télécommunication, adduction d’eau potable et électricité) et la défaillance de l’Etat. Elle se traduit par de meilleurs résultats en matière de participation des populations locales. Elle ne diminue pas pour autant la dépendance des populations locales qui, en dehors des subventions, n’auraient pas pu bénéficier de l’accès à ces technologies. Dans le cas des CCA du Mali, un contrat de maintenance est passé avec une société locale. La viabilité de ce type de gestion est tributaire des financements extérieurs. En l’absence de contrats incitatifs, la société exploitante n’est pas incitée à veiller à la rentabilité économique du centre. Les pertes cumulées du fait du non-recouvrement des redevances des usagers, ne permettent plus d’assurer la rémunération de la société chargée de l’exploitation. Le groupement envisage alors les possibilités de se dessaisir du centre. La société non rémunérée par le groupement ne réalise plus l’entretien nécessaire et les installations sont vite non-opérationnelles.

74Au Burkina Faso, la gestion communautaire avec le soutien d’ONGs présentes dans les villages a été expérimentée à Gomboro, Boken et Bougnougnou. Ce type de gestion n’a pas permis de dégager un recouvrement même partiel des redevances auprès des usagers. La relation partenariale entre les ONGs et les villageois était, avant l’installation des CCA, une relation inscrite dans une approche humanitaire de don. Les ONGs n’ont pas réussi à mobiliser une contribution financière des usagers, contribution nécessaire pour la maintenance des équipements. L’absence d’une approche clairement identifiée a augmenté la confusion des usagers qui n’ont plus assuré le recouvrement de leur redevance. Cela a été interprété par le groupement comme une absence d’implication de la population locale : la pérennité du projet a été menacée et les centres arrêtés.

75Pour pallier aux dysfonctionnements liés à leur présence insuffisante sur le terrain, certains énergéticiens essayent des concepts innovants. Il s’agit notamment de la création d’une société de droit local (cas des Sociétés de Service Décentralisées).

Stratégie d’expansion internationale

76Lorsque le marché est important et permet d’assurer une expansion internationale, certains opérateurs s’implantent dans le pays. C’est le cas, par exemple, d’EDF qui, au moyen de la société de services décentralisés (SSD), s’inscrit dans un cadre stratégique de déploiement du groupe EDF. En raison de l'ouverture des marchés en Europe, cette société prévoit que, à l'horizon 2005, 50% de son chiffre d'affaires sera réalisé hors du marché français de l'électricité. La société de services décentralisée est une société de droit local appartenant à l’EDF, en charge d’assurer le développement de services énergétiques. Ce concept a été initié par le programme ACCES (ACCession à l’Energie et aux Services) lancé en 2001. L'ambition du programme ACCES est de permettre à l'horizon 2003 l'accès à l'électricité à plus de 300000 personnes réparties dans plusieurs pays : le Maroc (80000), le Mali (75000), Madagascar (120000), le Brésil (70000) et l’Afrique du Sud (90000). La société de services décentralisée s’inscrit dans la tradition de service public et s’engage à assurer la continuité du service, la qualité, la sécurité des biens et des personnes, la protection de l’environnement. Les installations électriques sont soit la propriété de l’Etat soit celle de la SSD qui facture les services à un prix qu’elle a librement fixé. Cette société est financée soit par des investisseurs qui acceptent un placement risqué à un taux de rentabilité inférieur à la moyenne, des bailleurs de fonds qui subventionnent le projet. L’Etat peut faciliter l’installation d’un énergéticien en accordant certaines exonérations fiscales et douanières.

77La SSD Mali-Région de Kayes est la première SSD opérationnelle. Les abonnements mensuels sont payables au début de chaque mois pour le mois à venir et en cas de retard de paiement, le garant et l’association d’immigrés sont chargés de trouver une solution. Au bout de 60 jours, si aucune solution n’est trouvée les installations sont démontées. Dans cette même région, l’absence de paiement localement a conduit à envisager la possibilité de paiement directement en France par les membres de la famille en France. Les habitants de la région de Kayes vivent essentiellement des transferts d’argent. Pour l’exploitation locale, la SSD recrute du personnel localement : elle lui assure une formation technique et de gestion pour qu’il puisse réaliser la gestion aussi bien technique que les recouvrements des factures. Ce type de stratégie suppose le partenariat avec des structures locales. La coopération d'un expert ou d'un technicien du Nord dans un Pays du Sud exige une adaptation à la culture locale tant de la part de l’institution en charge de mettre en place le projet, que des populations rurales bénéficiaires. Cette adaptation se situe à deux niveaux:

  • au niveau du travail: partenariat avec des hommes du sud, appartenant à une structure institutionnelle propre et ayant un mode de fonctionnement spécifique,

  • au niveau de l'adéquation des solutions énergétiques aux besoins des populations rurales.

78Il y a donc nécessité d’une double adaptation : à la culture d’entreprise ou de l’institution avec laquelle s’opère la coopération, mais aussi avec la culture nationale. De ce fait, la viabilité d'un investissement énergétique ne peut s’inscrire que dans le temps. La création d’une entité autonome, la SSD dans le pays d’accueil, confère aux projets un horizon à long terme. La pérennité du projet d’électrification devient alors entièrement dépendante de la capacité de survie voire d’expansion de la SSD.

Conclusion

79Les capitaux élevés et l'importance des coûts d'exploitation combinés à de faibles revenus font que les programmes d'électrification pour être viables doivent être lourdement subventionnés (David, 1995). La mobilisation de moyens financiers pour la réalisation de projets en énergies renouvelables devrait être favorisée par l’intégration des préoccupations environnementales dans les stratégies des institutions. Mais les instruments demeurent encore à l’heure actuelle en gestation : les mécanismes de développement propre n’ont pas encore permis l’émergence d’un consensus. Lorsqu'il existe des supports institutionnels et techniques, le moyen d'accélérer la diffusion d’énergie est l'accès à un crédit adéquat. En l’absence d’économies d’échelle suffisantes et de programmes de sensibilisation pour l’utilisation de ces technologies, leur diffusion continuera à s’effectuer à un faible rythme. Une chose est sûre cependant : même si l’utilisation des énergies renouvelables tarde à se généraliser, l’électricité revêt une valeur hautement symbolique permettant l'accès au monde moderne (Foley 1989).

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Notes

1  Le programme « Stratégie Energie Domestique » a été réalisé grâce à l’appui du programme « Energy Sector Management Program » (ESMAP) de la Banque Mondiale et du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD). Le projet a été financé par différents bailleurs de fonds : le gouvernement des Pays Bas, le Fonds pour l’Environnement Mondial (GEF) et la Banque Mondiale, ainsi que des organisations de coopération internationale telles que le Bureau international du Travail (BIT), les Gouvernements de Norvège et de Suisse, l’Union Européenne et l’Agence Française de Développement (AFD). Ces informations ont été récoltées auprès de Ismail Touré à Bamako, directeur de coordination et de la supervision de la mise en œuvre au Ministère des Mines et de l’Energie, lors de la mission de terrain en Juin 2000.

2 On entend par solutions énergétiques décentralisées, les solutions permettant la satisfaction de besoins énergétiques à partir de systèmes énergétiques produisant l’énergie localement de source renouvelables comme les systèmes photovoltaïques, éoliens ou hydrauliques mais aussi non renouvelable comme les groupes électrogènes. Cette liste n’est bien sûr pas exhaustive, et peut comprendre d’autres sources de production d’énergie.

3  Un système photovoltaïque est composé d’au moins une batterie, d’un régulateur, d’un ou plusieurs panneaux solaires et parfois d’un onduleur.

4  Nous entendons par institution une organisation comme une firme, une organisation non gouvernementale, un bailleur de fonds...

5 Ademe, 2000, Pérennisation de l’EDR : la maintenance, Silène France.

6 Pour plus de détails sur le développement des énergies renouvelables en site non raccordé au réseau en France, voir l’article de Donizeau C, 2001, « les fonds d’amortissement des charges d’électrification (FACE) pour un développement des énergies renouvelables en site non raccordé au réseau sur le territoire français », Electrification rurale décentralisée, dispositifs contractuels et financiers, IEPF, ADEME.

7  Pour plus de détails sur l’exemple fournit par la caisse de Stabilisation de la Cote d’Ivoire, voir Mahieu F.R (1990, p. 93) in Les fondements de la crise économique en Afrique, l’Harmattan.

8 Option citée par Singer et al. (2001) : Cornai G.A, Jolly R. et Steward (eds), 1987, Adjustment with a human face, 2 vols, Oxford and New-York : Oxford UP.

9  Gore (2000) définit le paradigme comme l’ensemble des croyances, des valeurs et des techniques que des membres d’une même communauté partagent.

10 Notre traduction.

11 ONE est la principale compagnie électrique au Maroc et constitue un monopole d’Etat.

12  Pour plus de détails, voir Bentaleb N., (2001).

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Pour citer cet article

Référence électronique

Nadia Bentaleb, « L’électrification rurale décentralisée dans le sud »VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [En ligne], Volume 5 Numéro 1 | mai 2004, mis en ligne le 01 mai 2004, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/vertigo/3910 ; DOI : https://doi.org/10.4000/vertigo.3910

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Auteur

Nadia Bentaleb

Dr., Directrice Générale de l'ONG Migrations et Développement,  Membre du Centre d'économie et d'éthique pour l'environnement et le développement - C3ED bentaleb@wanadoo.fr

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